La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 (JORF n°0119 du 23 mai 2019) contient des dispositions très variées et certaines d’entre elles, modifient à la marge le droit de l’assurance-vie. Les dispositions précisées à l’article 72 de la loi ne constituent pas, pour le droit de l’assurance vie un bouleversement. Cette réforme s’inscrit dans la continuité des précédentes qui visaient à favoriser la décollecte des fonds euros, à la fois pour des raisons prudentielles et pour orienter l’épargne vers des supports permettant le financement des secteurs jugés prioritaires de l’économie. Cependant, les épargnants français sont structurellement rétifs aux risques d’un placement sur des unités de comptes, de sorte que le législateur, pour favoriser son dessein, envisage principalement une modification du régime des contrats eurocroissance instituée par la loi n° 2013-1279 de finances rectificative pour 2013.
Pour rappel, les contrats d’assurance euro-croissance sont des contrats dont une part les primes versées sont affectées partiellement ou totalement à l’acquisition de droits donnant lieu à la constitution d’une provision de diversification.
Techniquement, ces bons ou contrats de capitalisation reposaient sur deux provisions mathématiques : tout ou partie des primes était affecté à l’acquisition de droits donnant lieu à la constitution d’une provision de diversification (CGI, art. 125-0 A, I, 2°). À la différence des contrats en euros, l’assureur ne s’oblige donc pas à une garantie immédiate en capital et en intérêt. La garantie n’était constituée à terme que par l’affectation d’une partie des primes sur la provision mathématique. Si le législateur a souhaité une modification du régime actuel des contrats euro croissance, c’est parce que la commercialisation de ces formules est aujourd’hui un échec pour une pluralité de raisons. D’abord parce que ce type de placement est complexe à comprendre pour l’investisseur. Les notions de provisions mathématiques ou de provisions de diversification ne parlent pas à tout le monde. Ensuite, parce que l’intérêt du placement en termes de rendement n’est pas aisé à déterminer. Sans doute, les assureurs avaient-ils mis, dès 2014, l’accent sur un rendement du fonds eurocroissance supérieur à celui du fonds euros (par exemple le support Afer Eurocroissance a réalisé en 2017 une performance de 2,82 %, nette de frais de gestion, hors prélèvement fiscaux et sociaux (mais une performance de 6.87% en 2016). Cependant cette communication est essentiellement commerciale tant la comparaison avec le rendement des fonds euros est dépourvu de sens.
En effet, lorsque les primes sont investies sur un fonds euros, l’assureur garantit le taux d’intérêt capitalisé par effet de cliquet. Le rendement annuel est faible sans doute, mais il est certain. En revanche, la caractéristique des eurocroissances est que l’assureur n’est tenu qu’à terme à une garantie en capital. Par conséquent, ce rendement annuel proclamé sur les fonds eurocroissance n’est pas capitalisé : Il n’y a pas d’effet cliquet sur le fonds eurocroissance. Il est donc impossible de comparer un rendement acquis (celui du fonds euros) avec un rendement intercalaire (celui annuel sur le fonds euro croissance) ne pouvant être réalisé annuellement par un rachat. La performance des contrats eurocroissance ne peut être envisagée qu’au terme de la garantie. Enfin, à la différence des contrats multisupports, le souscripteur n’a pas la maîtrise du placement des fonds. Nulle possibilité d’arbitrage ici. En raison de son engagement à terme au capital, l’assureur possède seul le choix de la diversification. Une réforme de ces contrats paraissait donc nécessaire et c’est le premier apport de la loi Pacte au droit de l’assurance-vie (I) La loi Pacte contient d’autres dispositions relatives à l’assurance vie de nature à inciter fortement le souscripteur à orienter l’épargne vers les supports aptes à financer les secteurs jugés prioritaires de l’économie (II).
I- La réforme des contrats eurocroissance
La loi Pacte modifie le régime actuel du contrat en proposant aux souscripteurs un choix entre deux régimes : la loi crée en effet un nouveau régime plus souple de contrat euro croissance.
Ce choix est parfaitement exprimé par la nouvelle rédaction de l’article L. 134-1 du Code des assurances: « Ces engagements peuvent comprendre la garantie d’une rente ou un capital à échéance dans des conditions précisées par un décret en Conseil d’État. Ils donnent lieu à la constitution d’une provision de diversification destinée à absorber les fluctuations des actifs en représentation. La rente ou le capital garantis sont exprimés en euros et en parts de provisions de diversification. Ils peuvent être exprimés selon l’une ou l’autre des deux modalités suivantes :
- 1° La rente ou le capital garanti est exprimé en euros et en parts de provisions de diversification ;
- 2° La rente ou le capital garanti est exprimé uniquement en parts de provisions de diversification avant l’échéance et donne lieu à une garantie à l’échéance exprimée en euros ».
L’objectif du législateur est d’augmenter la lisibilité du contrat.
Le souscripteur qui opte pour le nouveau dispositif augmente en cours de contrat l’exposition des contrats au risque, et donc la possibilité d’améliorer les rendements, mais également celle de supporter une perte.
Pour garantir le capital à l’échéance de ces contrats exprimés uniquement en parts de provisions de diversification, les assureurs devront constituer une provision pour garantie à terme : « s’il apparaît que la valeur des actifs en représentation de ces engagements n’est pas suffisante pour assurer la garantie à l’échéance, l’entreprise d’assurance constitue une provision pour garantie à terme. L’entreprise d’assurance assure la représentation de cette provision par un apport d’actifs équivalent. Lorsque le niveau de la représentation de cette provision le permet, l’entreprise d’assurance réaffecte des actifs de celle-ci à la représentation d’autres réserves ou provisions » (C. assur, art. L. 134-1, nouveau).
Pour que ce choix existe également pour les détenteurs actuels de contrats eurocroissance, la loi prévoit la possibilité de transformer un contrat eurocroissance en cours en un contrat nouvelle formule.
II – Les autres mesures
La mesure la plus commentée est la possibilité d’un transfert de la valeur de rachat d’un contrat d’assurance vie vers un autre support (d’assurance vie ou de placement retraite) commercialisé par l’assureur sans perte d’antériorité fiscale.
Clairement, le législateur incite à favoriser la réorientation de l’épargne vers certains supports, afin de favoriser le financement des retraites complémentaires, ou l’investissement de certains secteurs jugés prioritaires de l’économie.
D’autres dispositions sont cependant à relever et en voici la liste :
A) Favoriser la sortie en titres
C’est une possibilité qui existe depuis toujours pour les contrats en unités de comptes, mais qui est limitée dans son domaine par l’article L. 131-1 du Code des assurances.
Dans les contraintes de ce texte, un souscripteur peut opter irrévocablement, à tout moment, et avec l’accord de l’assureur, pour la remise de titres ou de parts non négociés sur un marché réglementé, y compris de parts de fonds communs de placement à risques (FCPR) ou non négociables, lors du rachat de son contrat.
Cette option ne détermine cependant pas le choix du bénéficiaire. Celui-ci devait donc formellement exprimer le sien.
Désormais, si le souscripteur opte pour la sortie en titres, « cette option est réputée s’appliquer aussi au bénéficiaire, sauf mention expresse contraire » (C. assur, art. L. 131-1, nouveau).
Le législateur modifie également le dispositif anti-abus mis en place pour éviter que la sortie en titres serve d’autres fins que le financement de l’économie. Aujourd’hui, cette possibilité n’est ouverte que pour les « parts qui ne confèrent pas de droit de vote et qu’à la condition que le contractant, son conjoint, leurs ascendants, leurs descendants ou leurs frères et sœurs n’aient pas détenu, directement ou indirectement, au cours des cinq années précédant le paiement, des titres ou des parts de la même entité que ceux remis par l’assureur » (même texte).
La réforme étend le dispositif anti-abus au partenaire lié par un pacte civil de solidarité (et précise que les frères et sœurs sont ceux du contractant). Elle sécurise en même temps ce dispositif en indiquant le quantum des titres que les personnes visées ne doivent pas détenir ensemble ou séparément « directement ou indirectement, au cours des cinq années précédant le paiement, des titres ou des parts de la même entité que ceux remis par l’assureur » (C. assur, art. L. 131-1, nouveau).
B) Paiement des primes
Sur le paiement des primes, le législateur ferme volontairement la porte à un paiement par titres. En effet, la loi modifie l’article L. 113-3 du Code des assurances, pour préciser que les primes ne peuvent être réglées qu’en numéraire.
Cette réforme « vise à empêcher les résidents français de placer leurs propres titres de sociétés dans des contrats d’assurance-vie souscrits à l’étranger afin de bénéficier de la fiscalité avantageuse de l’assurance vie en cas de rachat et en cas de succession » (LOI n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, exposé des motifs).
L’objectif est également de limiter la « pratique des assureurs de droit étranger consistant à proposer en libre prestation de service à des résidents français disposant d’un niveau de patrimoine suffisant des contrats d’assurance-vie permettant de transférer des titres de sociétés dans des conditions fiscales avantageuses » (exposé des motifs précité).
Clairement sont visés les contrats luxembourgeois, pour lesquels un tel versement est aujourd’hui possible (Cass. 2e civ., 19 mai 2016, n° 15-13606 : « aucune disposition légale d’intérêt général ne prohibe la distribution en France par un assureur luxembourgeois de contrats d’assurance sur la vie qui sont régis par la loi française, mais dont les caractéristiques techniques et financières relèvent du droit luxembourgeois »).
C) Le transfert de la valeur du contrat sur des PER
La loi Pacte modifie les produits retraite d’une façon très importante en créant un régime juridique commun à tous les placements retraite complémentaire.
Pour favoriser leur développement, la loi encourage le transfert des fonds détenus sur une assurance vie vers ces produits retraite complémentaire.
Le législateur modifie en effet les dispositions de l’article 125 0 A du CGI pour inciter au transfert de tout ou partie de la valeur de son contrat d’assurance sur un PER ; Le souscripteur bénéficiant, quelle que soit la durée du contrat, d’un abattement de 9 200 € ou 4 600 € selon sa situation maritale cumulable avec le crédit d’impôt du même montant s’imputant sur les produits taxables des contrats d’au moins huit ans.
Cette possibilité cependant ne s’applique :
– qu’«en cas de rachat total ou partiel d’un bon ou d’un contrat, effectué avant le 1er janvier 2023 »,
– « plus de cinq années avant l’atteinte par le titulaire du bon ou du contrat de l’âge mentionné au premier alinéa de l’article L 161-17-2 du CSS » (âge d’ouverture du droit à une pension de retraite),
– « Lorsque le bon ou le contrat remplit la condition de durée mentionnée au quatrième alinéa du présent 1° » ; Le contrat en cause doit donc avoir été souscrit depuis plus de huit ans.
– et que « l’intégralité des sommes reçues au titre de ce rachat est versée avant le 31 décembre de l’année dudit rachat sur un plan d’épargne retraite défini à l’article L 224-1 du Code monétaire et financier »,
D) Le transfert de la valeur vers un autre contrat d’assurance vie
Jusqu’à présent, il n’était pas possible de transférer les fonds d’un contrat d’assurance-vie sur un autre contrat d’assurance-vie ou un autre support d’épargne, sans perdre l’antériorité fiscale du contrat.
La loi pacte prévoit la conservation de l’antériorité fiscale du contrat, en cas de transfert de contrats au sein d’une même compagnie d’assurance, à la condition qu’une part ou l’intégralité des primes versées soit affectée à l’acquisition de droits exprimés en unités de compte ou de droits donnant lieu à la constitution d’une provision de diversification (CGI art. 125-0 À, I-2°-al. 1 nouveau.).
Le dispositif est donc limité, car le transfert sans perte d’antériorité fiscale du contrat n’est possible :
- qu’au sein de la même compagnie,
- à la condition que le nouveau contrat ne soit pas un contrat monosupport euros.
E) Possibilité d’investissement sur de nouveaux fonds
Toujours dans le souhait que le placement en assurance vie serve au financement de certains secteurs de l’économie jugée prioritaire, la loi ouvre la possibilité de proposer comme supports de placement des primes sur des contrats en unités de comptes, de nouveaux fonds risqués (« parts de fonds d’investissement alternatifs ouverts à des investisseurs professionnels, relevant de la sous-section 3 de la section 2 du chapitre IV du titre Ier du livre II du code monétaire et financier, dans le respect de conditions tenant notamment à la situation financière, aux connaissances ou à l’expérience en matière financière du contractant » (C. Assur, art. L. 131-1-1 nouveau).
Cette possibilité ne concernera que peu de personnes sans aucun doute.
Surtout, tous les contrats souscrits après le 1er janvier 2020 comportant des garanties exprimées en unités de compte devront faire référence à au moins une UC constituée de valeurs mobilières, d’organismes de placement collectif ou d’actifs respectant certaines conditions respectant des critères d’investissement socialement responsable ou de financement de la transition énergétique et écologique ( les fonds visés sont ceux finançant des entreprises solidaires d’utilité sociale agréées, dans des fonds de finance verte ou des fonds ISR).
F) Sanction des obligations de l’assureur au dénouement
L’assureur est tenu de demander, dans un délai de 15 jours, après réception de l’avis de décès et de sa prise de connaissance des coordonnées du bénéficiaire, à celui-ci de lui fournir l’ensemble des pièces nécessaires au paiement.
Mais jusqu’à présent aucune sanction ne venait contraindre l’assureur à respecter cette obligation.
La loi prévoit désormais qu’«au-delà du délai de quinze jours mentionné au premier alinéa, le capital produit de plein droit intérêt au double du taux légal durant un mois puis, à l’expiration de ce délai d’un mois, au triple du taux légal. » (C. assur., art. . 132-23-1 nouveau).
G) Renforcement de l’obligation précontractuelle
Pour les contrats dont les garanties sont exprimées en unités de compte, l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance ou de capitalisation communique avant la souscription ou l’adhésion à un contrat mentionné à l’article L. 522-1 une information détaillée précisant, pour chaque unité de compte,
- la performance brute de frais,
- la performance nette de frais et les frais prélevés, au cours d’une période définie par arrêté du ministre chargé de l’économie.
Cette information mentionne notamment les éventuelles rétrocessions de commission perçues au titre de la gestion financière des actifs (C. assur., art. L. 522-5, I nouveau).
H) Renforcement des informations contractuelles
En plus des informations précisées à l’article L 132-22 que l’entreprise d’assurance ou de capitalisation communique chaque année au contractant, la loi ajoute entre autres :
- Une publication annuelle sur le site internet de l’assureur le rendement garanti moyen et le taux moyen de la participation aux bénéfices attribués pour chacun de ses contrats d’assurance vie ou de capitalisation, dans un délai de 90 jours ouvrables à compter du 31 décembre de l’année au titre de laquelle ces revalorisations sont réalisées.
Cette publication reste disponible pendant une durée minimale de cinq ans. - Une information sur les frais prélevés par l’entreprise d’assurance au titre de chaque unité de compte, les frais supportés par l’actif en représentation de l’engagement en unités de compte au cours du dernier exercice connu et, le cas échéant, les rétrocessions de commission perçues au titre de la gestion financière des actifs représentatifs des engagements exprimés en unités de compte par l’entreprise d’assurance, par ses gestionnaires délégués, y compris sous la forme d’un organisme de placement collectif, ou par le dépositaire des actifs du contrat,
- à compter du 1er janvier 2022, la manière dont la politique d’investissement prend en considération les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance.
Par Michel Leroy – Juin 2019
Sources
Mots clefs
Contrat euro croissance – transformation- assurance vie – paiement de la prime