Donation-indirecte-et-societe-Techmeta

Nous avons eu l’occasion de nous exprimer sur cette importante question de la qualification des actes dont l’exécution enrichit le patrimoine d’une société contrôlée par les enfants de l’auteur de l’acte.

Faut-il y voir une donation au profit de la société ou à destination des enfants ?

La question est essentiellement compte tenu des conséquences qui en résultent, en particulier en termes d’imposition.
Une même affaire Techmeta nous offre l’occasion de revenir sur les difficultés que soulèvent ce type l‘opération.
Pour mémoire, Mme B., était usufruitière d’actions d’une société dénommée « Techmeta ».
Par acte sous signature privée du 10 mai 2006, elle fit, selon les termes de l’acte, « abandon à la société Techmeta participations » de l’usufruit, estimé à 982 372 €, qu’elle détenait sur 2 560 actions de la SAS Techmeta, société dont le capital social était de 1 042 000 € réparti entre 6 actionnaires.

À la suite de cette opération, la société Techmeta participations détenait 2 822 actions en pleine propriété, Mme B. 504 actions en pleine propriété et 1 856 actions en usufruit, et chacun des quatre autres actionnaires, enfants de Mme B., 7 actions en pleine propriété et 464 en nue-propriété.
L’acte ne formulait pas l’accord de la société Techmeta participations.
Pour la Cour de cassation (Cass. com., 10 avr. 2019, n° 17-19.733 : Juris-Data n° 2019-005795, RFP n° 6, Juin 2019, 8 et notre commentaire), la société est la bénéficiaire de l’abandon qu’elle a accepté, l’intention libérale à l’égard des enfants actionnaires n’étant pas caractérisées malgré le bénéfice qu’ils retirent de l’opération.

En revanche, pour le Conseil d’État (C.E., 3e – 8e chambres réunies, 14 oct. 2019, 417095), « Il résulte des dispositions précitées du Code civil, telles qu’interprétées par une jurisprudence constante de la Cour de cassation, que la renonciation de l’usufruitier à son droit de jouissance, qui n’est soumis par la loi à aucune forme spéciale et qui entraîne, sous réserve que la volonté de renoncer de l’usufruitier soit certaine et non équivoque, extinction de l’usufruit, ne constitue pas nécessairement une donation. Dès lors, en jugeant que l’extinction de l’usufruit du fait de la renonciation de l’usufruitier équivaut à une cession à titre gratuit de cet usufruit, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit. La société Techmeta Participations est fondée à demander, pour ce motif, l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ».

La Cour Administrative d’Appel de Lyon (CAA, Lyon, 2e chambre, 07 Nov. 2017, n° 16LY00366) avait en effet cru pouvoir affirmer « qu’en vertu de l’article 617 du Code civil, l’usufruit s’éteint notamment par l’expiration du temps pour lequel il a été accordé ou par la mort de l’usufruitier ; que l’article 1133 du code général des impôts prévoit que, dans ces deux hypothèses, la réunion de l’usufruit à la nue-propriété ne donne ouverture à aucun impôt ou taxe ; qu’en effet, l’extinction naturelle de l’usufruit doit être regardée comme n’entrainant pas de mutation au profit du nu-propriétaire ; qu’à l’inverse, dans le cas d’une extinction de l’usufruit du fait de l’action de l’usufruitier, en particulier en cas de renonciation de celui-ci à son usufruit, il y a une mutation au profit du nu-propriétaire et une telle renonciation équivaut à une cession à titre gratuit de l’usufruit ».
De prime abord, la position de la Cour administrative d’appel est conforme à la position de l’administration fiscale puisque pour celle-ci, « les renonciations purement extinctives ou abdicatives sont assujetties au droit fixe prévu à l’article 680 du Code général des impôts. Cela dit, les droits de mutation à titre gratuit ou à titre onéreux deviennent exigibles si le nu-propriétaire entre en jouissance du droit délaissé par l’usufruitier. Les situations doivent être appréciées cas par cas (…) » (RM Bernard n° 11899 , JO AN du 23 fév. 1987 p. 994. Reprise au BOFIP : BOI-ENR-DMTG-20-10-10, n° 100).

En l’espèce, le nu-propriétaire était entré en jouissance du droit délaissé puisque la société bénéficiaire des titres avait encaissé lors de l’exercice suivant des dividendes (de plus, l’acte de renonciation indiquait expressément « qu’à compter de ce jour « le bénéficiaire à la jouissance de l’usufruit des actions abandonné et attribué »). L’acte d’abandon était donc taxable. Mais l’était-il au droit de mutation à titre gratuit ?
Oui, pour la Cour administrative d’appel qui a suivi en cela le rapporteur public, selon lequel, « L’acte d’abandon d’usufruit de Mme X. du 10 mai 2006, qui, à votre demande, a été produit le 19 septembre dernier, constitue, au sens de la jurisprudence de la Cour de Cassation (Cass.com. 20 novembre 2007 n°06-19-294 et 06-19-295), une renonciation claire et non équivoque qui a été acceptée par le nu-propriétaire bénéficiaire, et donc une donation indirecte taxable ».
Pour le Conseil d’État « si la société Techmeta Participations soutient, à cet égard, que la renonciation de Mme C… était, en l’espèce, purement abdicative et non translative, il résulte au contraire de l’instruction qu’eu égard à l’importance des droits auxquels elle a renoncé sans contrepartie et à l’absence de difficultés particulières attachées à l’exercice de l’usufruit, son intention était libérale à l’égard de la société requérante alors même que cette intention trouverait une explication dans la personne des actionnaires ».

L’annulation par le Conseil d’État de cette décision ne manque donc pas d’intérêt puisqu’elle signifie clairement qu’il ne suffit pas de constater l’importance des droits abandonnés et l’absence de difficultés dans l’exercice de ce droit pour caractériser l’existence d’une donation indirecte au profit de la société nue-propriétaire.
Il faut en effet bien prendre en compte que la donation indirecte n’est pas une donation intermédiée. Ce n’est pas parce qu’elle profite in fine aux enfants qu’il s’agit d’une donation aux enfants…
Au contraire, la réalité de la personnalité juridique de la société peut constituer un obstacle à la reconnaissance d’une telle donation.
Pour qu’il y ait donation, il faut d’abord qu’il y ait un accord de volonté. Or, dans l’hypothèse d’un abandon d’usufruit dont la nue-propriété est détenue par une société, la jouissance postérieure des titres ne peut matérialiser que l’acceptation de la société.

En d’autres termes, en l’absence d’expression d’une volonté expresse, par exemple matérialisée dans l’acte d’abandon d’usufruit, aucune donation ne pourra être constatée au profit des enfants.
Pour qu’il y ait donation, il faut également constater un dépouillement, mais aussi un enrichissement du donataire. Or, l’augmentation de valeur des titres des enfants associés ne permet pas de constater par elle-même l’existence d’une donation à leur profit. D’abord, cette augmentation de valeur n’est qu’une conséquence, qu’un effet de l’augmentation de valeur de la société. Au fond, si la perte de valeur de titres ne constitue pas un préjudice personnel de l’associé distinct de celui de la société (Cass. Com 04 Juillet 2006 n° 05-13.171), l’augmentation de valeur de ces mêmes titres ne matérialise pas non plus un enrichissement des personnes physiques, distinct de celui de la société.
Dans de nombreux cas, il n’y a pas de donation entre l’ascendant qui réalise un acte abdicatif et les enfants, en raison des éléments constatés ci-dessus.
Mais faut-il en conclure que ces opérations constatent une donation au profit de la société ?
Théoriquement, une telle qualification n’est concevable que s’il est établi une intention libérale au profit de la société. Or, il est peu probable que l’ascendant ait effectivement souhaité gratifier la personne morale, l’avantager sans doute, mais la gratifier non ;

Pour éviter toutes les difficultés, certaines précautions doivent être prises.
Compte tenu des observations précédentes, il est nécessaire de matérialiser l’acceptation des enfants. L’indication dans l’acte de leur qualité de bénéficiaire de l’opération suffirait-elle ? Ce n’est pas certain dans la mesure où il faut également constater un enrichissement des enfants.
Il serait sans doute plus simple de matérialiser une donation directe au profit des enfants, sans enrichissement du patrimoine de la société. En l’espèce, cela aurait du se matérialiser par une donation de l’usufruit des titres aux enfants.
Ce qui aurait évité la conséquence fiscale qu’en tire le Conseil d’État, à savoir que tant les règles comptables, qui imposent de comptabiliser cette augmentation de l’actif net de la société (Cf. Avis CNC 2004-15 du 23 juin 2004 § 4.1.5), que la loi fiscale (Cf. CE 15 juin 2016 no 375446, 9e et 10e ch., SARL D Distribution, RJF 2016, n° 797), conduisent à analyser la réunion de l’usufruit des actions litigieuses à leur nue-propriété comme un bénéfice au sens des dispositions précitées de l’article 38 du code général des impôts.

 

Par Michel Leroy – Novembre 2019

Mots clefs

Donation indirecte – Usufruit – Abandon

Thématique

Société – Donation

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