Pour les couples séparatistes, au bord de la rupture, le règlement des flux financiers qui ont pu exister entre eux, au temps où la relation conjugale brillait d’un feu plus intentionné, est souvent un casse-tête.
Et dans la majorité des cas, ce sont les dispositions de l’article 214 du Code civil qui sont au cœur de la difficulté.
Pour rappel, en application de ce texte, si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives.
Il en résulte donc la possibilité, pour l’époux qui prétend avoir sur contribué à demander à l’autre remboursement de cette part excédentaire.
Naturellement, un tel remboursement n’est possible qu’autant qu’une clause particulière du contrat de mariage n’y fasse pas obstacle.
La portée des clauses matrimoniales relatives à cette contribution a nourri un important contentieux.
Récemment, la Cour de cassation a pu affirmer que « lorsque les juges du fond ont souverainement estimé irréfragable la présomption résultant de ce que les époux étaient convenus, en adoptant la séparation de biens, qu’ils contribueraient aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives et que chacun d’eux serait réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu’ils ne seraient assujettis à aucun compte entre eux ni à retirer à ce sujet aucune quittance l’un de l’autre, un époux ne peut, au soutien d’une demande de créance, être admis à prouver l’insuffisance de la participation de son conjoint aux charges du mariage pas plus que l’excès de sa propre contribution » (souligné par nous). (Cass. 1e civ. 18 novembre 2020 n° 19-15.353 FS-PB, V. sur cet arrêt le commentaire du Professeur Estelle Naudin, dans la lettre FNDP du mois de février 2021).
Il en résulte donc qu’une clause peut, selon les cas, révéler une présomption simple ou irréfragable de contribution aux charges du mariage, ce qui est pour le moins insécurisant, et invite à rejeter la clause de style pour retenir une stipulation plus précise dans son expression.
Si la présomption irréfragable, l’époux ne peut donc pas obtenir remboursement.
Sauf à lui d’établir que le transfert de la valeur dont l’autre époux a profité ne relève pas de la contribution aux charges du mariage et peut justifier un remboursement sur le fondement d’une créance entre époux.
Or, parce que c’est une contribution au jour le jour aux charges du mariage, un apport en capital pour une acquisition d’un bien immobilier, fut-il affecté au logement de la famille, ne semble pas relever du domaine de ce texte.
Ce principe fut consacré en 2019, par la Cour de cassation selon laquelle, « Sauf convention matrimoniale contraire, l’apport en capital provenant de la vente de biens personnels, effectuée par un époux séparé de biens pour financer la part de son conjoint lors de l’acquisition d’un bien indivis affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage ». (Cass. 1re civ., 3 oct. 2019, n° 18-20.828, JCP N 2019, 1343, note J. Vassaux. – S. Torricelli-Chrifi, Apport en capital et contribution aux charges du mariage : une solution bienvenue : Dr. famille 2019, comm. 241. – S. Torricelli-Chrifi, Apport en capital et contribution aux charges du mariage : une visée pratique : Dr. famille 2019, comm. 242.)
Cet arrêt était riche d’enseignement :
- a) Le financement par capital d’un actif servant au logement de la famille peut relever de la contribution aux charges du mariage, si la convention le prévoit. C’est encore une incitation à penser une clause adaptée aux besoins du couple.
- b) Si un époux rembourse seul un emprunt ayant financé l’acquisition du couple, par ses revenus, il peut, si la convention maritale ne l’exclut pas, agir en surcontribution (Cass. 1re civ., 11 avr. 2018, n° 17-17.457 : JurisData n° 2018-012712), ce qui suppose naturellement la preuve qu’il a, en dehors de ce remboursement effectivement contribué aux charges du mariage à hauteur de ces facultés.
- c) L’arrêt ne visait cependant, compte tenu des circonstances de l’espèce, que le produit de la vente de biens personnels. Y avait-il là une restriction, liée à l’origine des fonds ?
Non sans doute, et l’arrêt rendu par la Cour de cassation, le 17 mars 2021 (Cass. civ. 1re, 17 mars 2021, n°19-21.463), lève toute ambigüité : tout en réitérant le principe, précise expressément que l’exclusion porte sur tout apport en capital : « sauf convention contraire des époux, l’apport en capital de fonds personnels, effectués par un époux séparé de biens pour financer la part de son conjoint lors de l’acquisition d’un bien indivis affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage ».
Dans cette affaire, le financement de la résidence principale avait été effectué pour partie par emprunt et pour une autre par apport d’un capital relativement important (plus de 100 000 €) d’un des époux.
Le raisonnement de la Cour d’appel saisie avait été pour le moins incohérent. Elle avait en effet décidé que :
- 1) « la clause du contrat de mariage stipulant que chacun des époux sera réputé s’être acquitté jour par jour de sa part contributive aux charges du mariage leur interdit de prouver que l’un ou l’autre ne se serait pas acquitté de son obligation,
- 2) ensuite, que les versements effectués par l’un d’eux pendant le mariage, tant pour régler le prix d’acquisition d’un bien immobilier constituant le domicile conjugal que pour rembourser les mensualités des emprunts immobiliers contractés pour en faire l’acquisition, participent de l’exécution de son obligation de contribution aux charges du mariage, sauf s’ils excèdent ses facultés contributives,
- 3) enfin, que Mme T… ne démontre pas que sa participation financière à l’acquisition du domicile familial a excédé son obligation de contribution aux charges du mariage.
C’est donc très justement que l’arrêt d’appel est cassé.
L’époux devrait donc pouvoir obtenir remboursement du capital avancé (sauf à démontrer qu’il y a là une donation), sans que l’autre conjoint puisse opposer une insuffisance de l’époux apporteur à sa contribution aux charges du mariage…
Mots clefs
Contribution aux charges du mariage – séparation de biens – logement de la famille – apport en capital
Thématique
Régime matrimonial