Annoncée dès l’élaboration de la loi Pacte, la réforme des pactes Dutreil trouve sa concrétisation dans la loi de finances pour 2019. Les modifications sont globalement favorables aux redevables et visent à régler un certain nombre de difficultés d’application identifiées par la pratique. Vont notamment en ce sens l’abaissement des seuils minimum de l’engagement collectif et la possibilité de le souscrire seul qui permettra de l’appliquer aux sociétés unipersonnelles, la refonte totale du dispositif d’apport des titres à une société holding très utilisé dans le cadre des FBO, la limitation des effets de la déchéance en cas de cession partielle des titres à un autre signataire en cours d’engagement collectif, l’allègement du calendrier des obligations déclaratives, l’extension du champ d’application de l’« engagement réputé acquis » aux sociétés interposées et aux concubins notoires, et la neutralisation des OPE en tant que cause de déchéance. Cette réforme n’est toutefois pas totalement satisfaisante. D’abord, le législateur ne règle pas certaines autres difficultés d’application, identifiées de longue date, sans que l’on en comprenne la raison. Ensuite, quelques modifications visent à tenter de consolider des positions administratives contestables. De nombreuses imprécisions rédactionnelles émaillent le texte, et vont freiner sa mise en oeuvre tant que les commentaires administratifs n’auront pas apporté les précisions suffisantes. Enfin, l’Assemblée nationale a fait échouer l’amendement du Sénat, qui codifiait la « holding animatrice de groupe » en une notion unique commune à l’ensemble des dispositifs fiscaux, privant ainsi les associés des sociétés concernées de la sécurité juridique attendue de cette mesure.
Loi de finances pour 2019 : la nouvelle procédure dite « mini-abus de droit » (LPF, art. L. 64 A)
L’article 109 de la loi de finances pour 2019 institue un nouvel article L. 64 A au sein du Livre des Procédures Fiscales (LPF), et avec lui une nouvelle procédure dite « mini-abus de droit », permettant à l’administration fiscale d’écarter comme abusifs les montages ayant un but principalement (et non plus seulement exclusivement) fiscal. Timing. Heureusement, il nous reste un peu de répit : le texte s’appliquera aux « rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021 portant sur des actes passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020 » (L. fin. 2019, art. 109, II A). Un an de répit sur le papier. Moins en réalité, et peut être beaucoup moins, dès lors que l’acte litigieux, conclu avant 2020, s’exécuterait, instantanément et peut être même de manière successive en 2020 (interprétation pouvant résulter de la référence aux « actes […] réalisés », par opposition aux « actes passés »). Différences entre l’art. L. 64 et l’art. L. 64 A. Ce nouvel abus de droit (LPF, art. L. 64 A) vient s’ajouter aux procédures préexistantes (LPF, art. L. 64 : abus de droit par simulation et abus de droit par fraude à la loi) .L’amendement évoquait à ce sujet un « abus de droit à deux étages » (L. 64 et L. 64 A). Sa dénomination officieuse (« mini-abus de droit »), marque le fait que l’abus nouveau n’est pas assorti de la majoration de 80% qui sanctionne classiquement l’abus de droit (CGI, art. 1729 b, par renvoi à l’art. L. 64 du LPF ; cette majoration peut être ramenée à 40% si le contribuable n’est pas à l’initiative principale des actes en cause ou n’en est pas le principal bénéficiaire), et peut être également le fait qu’il est probable que l’administration fiscale, qui aura le choix des armes, sollicitera l’article L. 64 A pour sanctionner les mini abus, les moins criants, réservant l’article L. 64 aux abus les plus manifestes. Insécurité fiscale. Le texte suscite l’émoi de nombreux praticiens. Le nouveau texte fait naître en droit français une insécurité juridique, et plus précisément fiscale, sans précédent, du fait de l’application à tous les impôts (sauf IS où prévaudra l’article frère, né de la même loi, 205 A nouveau du CGI) d’un texte ténébreux. L’essentiel des débats et interrogations tournent autour la question de savoir si, ce que l’on pouvait faire hier sans grand danger, pourra l’être demain tout aussi sûrement : donation avec réserve d’usufruit ; donation avant cession, aboutissant le cas échéant à un quasi-usufruit par report sur le prix de vente ; apport avant donation, c’est-à-dire apport de nue-propriété à une société civile, suivi de la donation des parts en pleine propriété aux enfants ; donation de titres avec réserve d’usufruit, suivie de mises en réserves massives pouvant à terme profiter aux nus propriétaires… Les avis sont souvent contradictoires, ce qui tend à nous convaincre qu’il sera en de nombreux cas difficile à l’avenir de garantir par anticipation qu’à coup sûr un montage donné échappera à la qualification d’abus de droit. Sauf à solliciter un rescrit.
Un texte présenté comme étant de pure assiette, et donc non répressif. – Sur le fondement du mini-abus de droit, la requalification de l’opération litigieuse se traduira donc par une majoration de l’assiette de l’impôt, et par des intérêts de retard. Pour dire les choses autrement, l’article L. 64 A nouveau se présente non comme un texte répressif, mais comme un texte d’assiette. Il reste cependant que l’administration dispose toujours de la possibilité d’appliquer, le cas échéant, d’autres sanctions, telles que la majoration de 80% pour manoeuvres frauduleuses ou la majoration de 40% en cas de manquement délibéré (CGI, art . 1729 a et c). L’article L. 64 A n’est pas répressif pour autant, car il « n’entraîne pas en tant que tel l’application automatique de sanctions fiscales » (Rapport Sénat, n°147). L’administration doit être en mesure de justifier de l’application de l’une ou l’autre de ces sanctions indépendamment de la caractérisation de l’abus de droit. La nouvelle procédure d’abus de droit (art. L. 64 A) confère les mêmes garanties que celles qui assortissent la procédure de droit commun (art. L. 64) : possibilité de solliciter l’avis du comité de l’abus de droit fiscal (sur ce point, signalons une autre réforme, issue de l’art. 202, I, IV et V L. fin. 2019 : désormais, l’administration supporte la charge de la preuve, quel que soit l’avis rendu par le comité) ; possibilité de formuler un « rescrit abus de droit », rendant la procédure d’abus de droit inapplicable si l’administration la laisse sans réponse pendant 6 mois (LPF, art. L. 64 B modifié). Le nouveau texte est présenté comme étant constitutionnel, mais on peut en douter. – On se souvient en effet que fin 2013, le Conseil constitutionnel avait censuré la tentative de réforme de l’abus de droit répressif par la loi de finances pour 2014 (art. 100 tendant à substituer au motif exclusivement fiscal de l’abus de droit de l’art. L. 64 du LPF, une motivation principalement fiscale), motif pris de l’atteinte, en conséquence de l’imprécision du nouveau texte répressif, aux principes de légalité des délits et des peines et à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi (Cons. const., n°2013-685 DC 29 déc. 2013). Comme l’a résumé Olivier Fouquet, « le mot « principal » est insuffisamment précis lorsqu’il s’applique à un texte déterminant l’application d’une pénalité, comme dans le cas de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, mais il est en revanche suffisamment précis s’agissant d’un texte d’assiette » (note sous Cons. const., n° 2015-726 DC, 29 déc. 2015, Rev. Dr. fisc. 2016, n°4, validant la clause anti-abus du régime des sociétés mères). Sous cet angle, l’article L. 64 A serait hors d’atteinte du grief d’inconstitutionnalité ; aucun parlementaire n’ayant cru bon, dans le contexte politique que l’on sait, de solliciter une infirmation en déférant le texte aux sages du Palais royal. Faute de contrôle ex ante, il faut espérer un contrôle ex post, et donc attendre que le Conseil, saisi par le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation à l’occasion d’un litige, tranche définitivement la question. Les chances de voir invalider le dispositif restent sérieuses, si l’on veut bien considérer que l’absence d’automaticité des sanctions répressives qui assortissent l’article L. 64 A est assez formelle, théorique, puisqu’en pratique « la constatation par l’administration d’un montage destiné à l’égarer pourrait la conduire à appliquer la majoration de 80% pour manoeuvres frauduleuses de l’article 1729, c du CGI » (FR Lefebvre Fiscal Social 19/01, n°121, §11). En pratique, la sanction risque de s’appliquer systématiquement du seul fait que sera constaté un « mini » abus de droit.
Par Jean-François Desbuquois – Extrait de la lettre FNDP n°11 – Février 2019
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