Une récente réponse ministérielle incite à faire le point sur une stratégie classique en gestion de patrimoine, mais dont la mise en œuvre concrète exige de prendre de nombreuses précautions dont le professionnel qui conseille sa mise en œuvre doit avoir conscience.
La stratégie en question est la suivante et c’est un classique en gestion de patrimoine : Il s’agit de la donation en nue-propriété d’un ou de plusieurs actifs avec réserve d’usufruit pour le donateur et constitution d’un usufruit successif pour le conjoint ou le partenaire pacsé du donateur.
Les intérêts de l’opération sont connus. Le donateur conserve la jouissance du bien sa vie durant (dans l’hypothèse classique d’un usufruit viager) et son conjoint peut également en jouir sa vie durant (dans la même hypothèse).
Pour les enfants nus propriétaires, l’avantage tient essentiellement à la reconstitution de la pleine propriété au second décès, en franchise de droits.
En clair, l’opération permet d’anticiper la transmission tout en conservant la jouissance pour le donateur tout en assurant la protection du conjoint ou partenaire survivant.
Ce montage suppose de prendre un certain nombre de précautions et l’actualité nous invite à revenir sur certaines d’entre elles.
I – La prise en charge des droits de donation par le donateur
Le donateur peut prendre en charge les droits de donation dus par les enfants et c’est une pratique courante.
Il est cependant important de prendre les conséquences qui peuvent résulter d’une telle décision.
A – Prise en charge des droits de donation et restitution de droits lors de la prise d’effet de l’usufruit successif.
Pour déterminer la valeur fiscale de la nue-propriété, il n’est tenu compte que des usufruits ouverts au jour de la mutation de cette nue-propriété (CGI, art. 669).
En revanche, les enfants nus-propriétaires pourront, à l’extinction de l’usufruit temporaire, réclamer à l’administration fiscale, en application de l’article 1965 B du CGI, la différence entre l’impôt payé au titre de la mutation du bien démembré et celui qu’il aurait payé si l’usufruitier en second avait, depuis la donation, jouit des prérogatives attachées à cette qualité.
En cas d’usufruits successifs, le nu-propriétaire a donc droit à la restitution d’une somme égale à ce qu’il aurait payé en moins si, selon ce texte, le droit acquitté par lui avait été calculé, dès l’origine, d’après l’âge de l’usufruitier éventuel (en revanche, lorsque le second usufruitier est plus âgé que le premier, il n’y a pas lieu de réclamer un supplément de droit au nu-propriétaire [BOI-ENR-DG-70-40-20120912, n° 10]).
A lire les termes du texte, pour exercer le droit à restitution, le nu-propriétaire doit avoir acquitté les droits de mutation dus en raison de l’acquisition de son droit.
Tel est au moins ce qu’enseigne la lettre du texte. Jusqu’à récemment, la logique de l’institution pouvait être opposée à la lettre du texte d’autant plus que l’administration fiscale ne précisait pas que la restitution ne peut se faire qu’à cette condition. (BOI-ENR-DG-70-40-20120912 préc., n° 20)
Malheureusement, une réponse ministérielle émanant du ministère de la justice a décidé de faire prévaloir la lettre du texte : « Ce droit à restitution n’est toutefois accordé que si le nu-propriétaire a acquitté les droits de mutation à titre gratuit. La restitution n’est en effet justifiée que si le nu-propriétaire a souffert d’une surtaxation, ce qui n’est pas le cas lorsqu’il n’a pas acquitté les droits de mutation. La succession du donateur décédé ne peut pas non plus bénéficier de cette restitution. La lettre du texte l’en empêche : seul le nu-propriétaire a droit à la restitution d’après l’article 1965 B CGI. (Sous réserve de l’avis de la DGFIP) » . (Rép. min. n° 26892 : JOAN 2 juin 2020, p. 3863).
Cette position est très contestable. La réponse se base sur la lettre de la loi et non sur la nature du droit dont jouit l’usufruitier en second (qui n’est pas titulaire d’un droit éventuel, mais d’un droit certain, existant au jour de la donation et dont seul l’exercice est différé à terme. Elle ne tient pas compte non plus que dans tous les cas, la situation du donataire est affectée par la survalorisation de la base taxable. En cas de décès du donateur, moins de quinze ans après la donation celle-ci lui fait perdre tout ou partie de l’abattement ce qui l’expose à une imposition majorée dans la succession.
Il est donc recommandé au donateur de la nue-propriété de ne pas prendre en charge les frais de donation, lorsque la différence d’âge permet d’envisager l’application de l’article 1965 B du CGI, quitte à réaliser une donation de sommes d’argent, pour permettre aux enfants d’acquitter de ces droits.
B – Prise en charge des droits de donation et moins-value
En matière de plus-value mobilière, le report de l’usufruit sur le bien acquis en remploi conduit à l’imposition du nu-propriétaire (Lorsque les parties ont décidé que le prix de cession sera remployé dans l’acquisition d’autres titres dont les revenus reviennent à l’usufruitier, la plus-value réalisée n’est imposable qu’au nom du nu-propriétaire [CE, 28 oct. 1966, n° 68280 : Dr. fisc. 1966, n° 49, comm. 1139. – CAA Paris, 3 févr. 2000, n° 96-3399 : Dr. fisc. 2000, n° 48, comm. 926, concl. D. Mortelec. – CE, 17 avr. 2015, n° 371551 et 371552 : JurisData n° 2015-009528 ; RJF 2015, n° 594 ; Dr. fisc. 2015, n° 40, comm. 610, note É. Spiridion].
Il n’y a aucune raison particulière qui permettrait de justifier une solution différente en cas de constitution d’un usufruit successif. La stipulation d’un usufruit successif n’a donc de ce point de vue aucun impact.
Aux termes du 1 de l’article 150-0 D CGI : le gain net imposable tiré de la cession à titre onéreux de droits sociaux par un particulier correspond à la différence entre le « prix effectif de cession […], net des frais et taxes acquittés par le cédant, et leur prix effectif d’acquisition par celui-ci ou, en cas d’acquisition à titre gratuit, leur valeur retenue pour la détermination des droits de mutation ».
En cas de report de l’usufruit sur le bien acquis en remploi, les nus-propriétaires étant les seuls redevables de l’impôt dû au titre de la plus-value sont également les seuls aptes à pouvoir déduire une éventuelle moins-value, de plus-value mobilière constatée.
Pour le Conseil d’État (CE, 11 mai 2017, n° 402479 : JurisData n° 2017-010015) : « En principe, le prix effectif d’acquisition mentionné à l’article 150-0 D cité ci-dessus ne comprend que les frais et taxes acquittés par le cédant à l’occasion de l’acquisition du bien cédé. Toutefois, dans l’hypothèse, d’une part, où le cédant est le nu-propriétaire et, d’autre part, lorsque le prix de cession est remployé pour l’acquisition d’un autre bien sur lequel le démembrement est reporté, le prix effectif d’acquisition comprend l’ensemble des frais et taxes qui ont grevé l’acquisition, tant de la nue-propriété que de l’usufruit, alors même que ces frais ont été acquittés par l’usufruitier. Dans cette hypothèse, le cédant est en droit de se prévaloir des frais acquittés par l’usufruitier pour l’acquisition de l’usufruit, lorsqu’il calcule la plus-value imposable à raison de laquelle il est seul susceptible d’être taxé. Dès lors, les requérants sont fondés à soutenir que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que les frais qu’a personnellement supportés Mme A…au titre de l’usufruit de ces titres n’étaient pas déductibles de leur valeur d’acquisition pour le calcul de la plus-value enregistrée à l’occasion de la cession en pleine propriété des titres en cause, imposable entre les mains de chacun des cédants de la nue-propriété, MM. C…et D…A…. ».
En d’autres termes, les nus-propriétaires sont « en droit de se prévaloir des frais acquittés par l’usufruitier pour l’acquisition de l’usufruit », outre les frais qu’ils ont eux-mêmes acquittés pour l’acquisition de la nue-propriété.
La solution est importante, car elle n’était pas prévue par la loi ni dans le BOFIP. Mais elle est à approuver : Il est normal que le nu-propriétaire, taxé pour une plus-value résultant de la valorisation du droit dont il n’est pas titulaire, puisse augmenter le prix d’acquisition des charges liées à acquisition de l’usufruit (dans l’hypothèse d’une constitution d’usufruit pour un tiers).
Mais si le Conseil d’État admet que la base d’imposition du nu-propriétaire intègre les droits supportés par l’usufruitier, il ne faut pas en conclure que le prix d’acquisition peut être augmenté des droits acquittés par le donateur. Au contraire, si les DMTG ont été supportés par le donateur, ceux-ci ne peuvent pas, en principe, être pris en compte (CE, 3e et 8e ss. sect., 7 févr. 2007, n° 282443).
II – Cession du bien démembré, usufruit successif et plus-value.
Une question récente (Question écrite n° 24124, JO Sénat du 05/08/2021 – page 479) posée au ministre de l’Économie, des Finances et de la relance expose une difficulté que la pratique entend esquiver celle de la cession du droit démembré , avec répartition du prix.
En principe, en cas de cession de l’actif par les parties concernées, le prix est en principe ventilé au prorata des droits respectifs de chacun, mais les cédants peuvent convenir d’un report de l’usufruit sur le prix ou report de l’usufruit sur le bien acquis en remploi du prix (C. civ., art. 621).
La question ministérielle pose la question, mais en des termes qui esquivent la difficulté de fond : En cas de répartition du prix, l’opération est-elle « pour l’usufruitier successif, un fait générateur de l’impôt de plus-values immobilières des particuliers et des prélèvements sociaux » ?
Et « dans l’affirmative, pour calculer la plus-value immobilière de l’usufruitier successif (..) comment déterminer la valeur d’acquisition de ce droit et le point de départ du délai de détention » ?
En cas de cession conjointe par le nu-propriétaire et l’usufruitier de leurs droits démembrés respectifs avec répartition du prix de vente entre les intéressés, l’opération est susceptible de dégager une plus-value imposable au nom de chacun des titulaires des droits démembrés (BOI-RFPI-PVI-20-10-10, n° 320).
L’application de ce principe ne soulève aucune difficulté particulière en cas de simple réserve d’usufruit : l’imposition de la plus-value lors de la cession d’actifs démembrés se répartit entre l’usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits. En effet, le prix global doit être ventilé de façon à faire apparaitre distinctement le prix de cession de la nue-propriété et celui de l’usufruit, en fonction de la valeur réelle au jour de la vente (BOI préc. À titre de règle pratique, il est admis que cette ventilation puisse être effectuée en appliquant le barème prévu par l’article 669 du CGI, en tenant compte, bien entendu, de l’âge de l’usufruitier au jour de la vente).
Mais que décider en cas d’usufruit successif ?
De prime abord, la question semble aisée à résoudre. Dans ce cas de figure, le bénéficiaire de l’usufruit successif reçoit une fraction de prix, soit donc un revenu au sens fiscal du terme.
Ce revenu est-il imposable suivant les règles des plus-values immobilières ? La question posée par le sénateur Malhuret peut paraître, simple à résoudre, car constituent des biens imposables au titre des droits relatifs à des immeubles au sens du I de l’article 150 U du CGI, les droits réels immobiliers : usufruit, nue-propriété, servitudes, droit de surélévation, mitoyenneté, bail emphytéotique, etc (BOI-RFPI-PVI-10-20, n° 10)…
Or, l’usufruit successif n’est rien d’autre qu’un usufruit dont les effets sont reportés à un terme incertain (pour la Cour de cassation, l’usufruitier successif est le bénéficiaire d’une donation de biens présents à terme (Cass. ch. mixte, 8 juin 2007, n° 05-10.727, DGI c/ Contant : JurisData n° 2007-039196 ).
La fraction du prix reçue semble donc imposable suivant le régime de taxation des plus-values immobilières des particuliers, puisqu’il y a cession d’un droit portant sur un bien immobilier non professionnel.
Cependant, en matière de droits d’enregistrement, le droit fiscal développe une analyse à rebours de la conception civile : l’usufruit successif n’est pas pris en compte dans la détermination de la valeur fiscale de la nue-propriété (CGI, art. 669), et aux termes de l’article 1965 B du CGI, relatif aux droits de mutation à titre gratuit, celui-ci est analysé comme un droit simplement « éventuel ».
Faut-il déduire de ces dispositions l’existence d’une règle générale de qualification fiscale de l’usufruit successif, distincte de l’analyse civile ?
Sans doute, si l’administration fiscale reconnaissait que, pour l’imposition des plus-values, l’usufruit successif doit être traité comme un droit éventuel, ce caractère ferait obstacle à une imposition de l’usufruitier successif, sur ce fondement.
En d’autres termes, il n’y aurait pas, pour ce redevable, lors du fait générateur, cession d’un droit immobilier, taxable suivant les règles des plus-values.
Cependant, en raison de la valeur reçue par ce dernier, lors de la répartition du prix, celui-ci pourrait être taxé suivant les règles des BNC, applicables en l’absence d’autre qualification (conformément aux dispositions de l’article 92 du CGI, relèvent de la catégorie des bénéfices non commerciaux, non seulement les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n’ont pas la qualité de commerçant, mais également tous les profits ayant le caractère de revenus et non soumis à l’impôt dans une autre catégorie).
La réponse à cette question est donc attendue avec impatience…
Par Michel Leroy – Septembre 2021
Mots clefs
Usufruit – donation – vente – plus-value – quasi-usufruit
Thématique
Droit des biens – Droit fiscal