Sans révolutionner la matière, deux arrêts récents méritent d’être relevés, soit que leur motivation permet de rappeler des règles importantes, soit qu’elle éclaire une difficulté que soulève l’existence de cette charge sr la propriété d’autrui.
Une stratégie classique en gestion de patrimoine consiste à l’acquisition démembrée d’un actif. C’est une opération classique entre personnes physique, mais très utilisée également pour des locaux professionnels.
Le montage est le suivant : la société d’exploitation à l’IS achète l’usufruit pour une durée limitée alors que la société civile à l’IR acquiert la nue-propriété.
Le montage est à priori avantageux : l’amortissement de l’usufruit permet à la société d’exploitation de diminue sa base taxable et son investissement limite le cout d’acquisition de la propriété de l’actif, devenue pure et simple à terme, par la société civile, qui bénéficierait de la reconstitution de celle-ci en franchise de droits.
L’opération présente bien des avantages, mais à la condition de ne pas s’exposer au risque de redressement pour fausse évaluation de la valeur de l’usufruit.
La Cour d’appel administrative de Lyon a rendu le 07 septembre 2020 (CAA de LYON, 2e chambre, 07/09/2020, 19LY00597, Inédit au recueil Lebon), a sur ce point rendu un arrêt très illustratif de ce risque..
Dans cette espèce, une société unipersonnelle, et une SCI soumise au régime, des sociétés de personnes de l’article 8 du code général des impôts, contrôlées par l’associé unique de la société commerciale et par son épouse, ont acquis, respectivement, l’usufruit, pour une durée de 12 ans, et la nue-propriété d’un local à usage artisanal appartenant à une SCI.
A l’issue d’une vérification de comptabilité de la société unipersonnelle, l’administration fiscale estima que le prix qu’elle avait acquitté pour acquérir l’usufruit temporaire excédait de 93 288 euros la valeur de celui-ci et que l’excédent de prix ainsi consenti constituait une libéralité accordée à la SCI nue-propriétaire. En conséquence, les époux associés de la SCI furent imposés, au titre de l’année 2011, sur le fondement du c) de l’article 111 du code général des impôts à raison des revenus distribués correspondant à la libéralité retenue par l’administration.
Pour la Cour administrative d’appel, en cas d’acquisition par des personnes distinctes de l’usufruit temporaire et de la nue-propriété du même bien immobilier, le caractère délibérément majoré du prix payé pour l’acquisition de l’usufruit temporaire par rapport à la valeur vénale de cet usufruit, sans que cet écart de prix ne comporte pour l’usufruitier de contrepartie, révèle, en ce qu’elle conduit à une minoration à due concurrence du prix acquitté par le nu-propriétaire pour acquérir la nue-propriété par rapport à la valeur vénale de celle-ci, l’existence, au profit du nu-propriétaire, d’une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d’une distribution de bénéfices au sens des dispositions précitées du c de l’article 111 du code général des impôts. La preuve d’une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l’administration lorsqu’est établie l’existence, d’une part, d’un écart significatif entre les prix convenus et les valeurs vénales respectives de l’usufruit et de la nue-propriété, d’autre part, s’agissant des parties au démembrement du droit de propriété, de l’intention de l’usufruitier d’octroyer, et pour le nu-propriétaire, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de l’acquisition dudit bien.
Tout cela est classique et le cœur du problème était donc la méthode d’évaluation de l’usufruit.
En l’espèce, les deux sociétés acquéreuses s’étaient entendues ainsi pour fixer le prix de l’usufruit de retenir la valeur de la pleine propriété, et d’y appliquer un loyer théorique équivalent à 9 % de la valeur d’acquisition, sans revalorisation annuelle, et une durée d’usufruit de 12 ans.
Que penser de cette méthode d’évaluation ?
Selon le Conseil d’état (Conseil d’État, 8e – 3ème chambres réunies, 24/10/2018, 412322, ), en l’absence de toute transaction ou de transaction équivalente, l’appréciation de la valeur vénale doit être faite en utilisant les méthodes d’évaluation qui permettent d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où l’acquisition est intervenue. Dans le cas de l’acquisition d’un bien en démembrement de propriété, constitue une telle méthode d’évaluation celle qui définit des prix de la nue-propriété et de l’usufruit tels qu’ils offrent le même taux de rendement interne de l’investissement pour l’usufruitier et le nu-propriétaire.
Dans cette affaire, la SCI Sacajisme, soumise à l’IS, et la SCI Sacaj à l’IR, ont acquis pour la première l’usufruit à terme de 22 ans et pour l’autre la nue-propriété d’un immeuble valant 730 000 €. Les parties avaient évalué l’usufruit à hauteur de 645 000 €.
Pour justifier cette évaluation, les deux sociétés avaient procédé à l’actualisation des flux de revenus futurs, au taux de rendement du bien (5,26 % en l’espèce), sur la durée du démembrement, soit 22 ans, en tenant compte d’une indexation du loyer de 3 % par an.
Le calcul fut donc le suivant : 5,26 % x 730 000 € = 38 398 €.
En actualisant ce taux de 3 % par an (par le calcul V0 = Vn(1 + i)-n.)
Pour l’administration, ce prix excédait de 145 000 € la valeur de celui-ci et cet excédent constituait une libéralité accordée à la SCI nu-propriétaire. En effet, dans son calcul, l’administration excluait l’indexation.
Pour le Conseil d’État, le contribuable avait pris en compte l’inflation dans ses prévisions de revenus locatifs tout en appliquant un taux d’actualisation ne prenant pas en compte l’inflation. Les termes de comparaison étaient donc « non homogènes » ce qui conduisent « par suite à une rentabilité interne de l’investissement (un TRI) déséquilibré entre l’usufruitier et le nu-propriétaire et à un partage inexact, à la date de la cession, de la valeur en pleine propriété de l’immeuble entre celle de l’usufruitier et celle de la nue-propriété, cette méthode erronée ayant pour conséquence que la somme de la valeur ainsi déterminée de l’usufruit et de la valeur vénale de la nue-propriété soit supérieure au prix d’acquisition de la pleine propriété ».
Or, l’actualisation sur 100 ans un flux de 38 398 € sans inflation au taux de 5,26 %, donne une valeur de la pleine propriété de 725 665 € là où L’actualisation de la même somme en intégrant une inflation de 3 % par an au taux de 5,26 % donne une valeur de la pleine propriété de 1 505 122 €, ce qui est supérieur à la valeur du bien.
En d’autres termes pour le Conseil d’État, le taux permettant d’évaluer la valeur d’un usufruit doit être le taux interne de l’investissement lequel doit être identique pour l’usufruitier et le nu-propriétaire.
Mots clefs
Démembrement – Usufruit temporaire – Acte anormal de gestion – Libéralité