Décidément, la question de la donation consentie par un ascendant à un enfant ne cesse de revenir en jurisprudence et un arrêt récent de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 18 mars 2020 (Cass. 1ère civ. 18 mars 2020, n° 18-25.309) offre l’occasion d’apporter encore quelques précisions à ce sujet passionnant.
Dans cette affaire, un parent s’était associé avec un de ses deux enfants dans deux sociétés, l’une exploitant un hôtel, l’autre gérant les murs de celui-ci. La gérance était confiée au fils, majoritaire, qui exerçait son activité professionnelle par l’intermédiaire de la société d’exploitation. Pour le développement de l’affaire, sa mère, associée minoritaire avait consenti à des apports et avances en compte courant et elle s’était également porté caution de différentes dettes de la société d’exploitation.
Les deux sociétés furent mises en liquidation judiciaire et la mère fut obligée d’exécuter ses engagements de caution.
En 2012, madame, sentant sa fin venir, rédigea un testament reconnaissant clairement l’existence d’une donation d’une « somme d’un million cinquante mille francs … faite il y a 15 ans », au profit de son fils gérant.
Cette valeur correspondait manifestement aux engagements qu’elle avait souscrits pour aider son enfant dans l’exercice de son activité professionnelle.
A son décès, l’autre enfant demanda le rapport de cette libéralité à la masse à partager ce que contesta son prétendu bénéficiaire, au motif que « c’est en qualité d’associé que sa mère avait été amenée à apporter ou avancer différentes sommes, perdues par suite des liquidations judiciaires ».
Cette contestation emporta la conviction des juges du fond pour lesquels (CA Paris, 12 septembre 2018, n°17/04562), « ne peut être assimilé à un avantage à son fils les paiements effectués par la défunte en vertu du cautionnement d’obligations financières des sociétés aux résultats desquels elle même était intéressée, (…) peu important que la gérance ait fourni une activité professionnelle (à l‘enfant) ».
En revanche, pour la Cour de cassation, « En se déterminant ainsi, sans rechercher comme elle y était invitée, si (le parent) n’avait pas artificiellement soutenu l‘activité professionnelle de son fils (..) en se substituant à lui dans le paiement de ses dettes, s’appauvrissant ainsi à son profit, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Cet arrêt bien que non publié est intéressant en raison des particularités mêmes de son espèce.
Dans ce cas, à la différence des arrêts que nous avons déjà eue par le passé l’occasion de commenter, les actes litigieux ne constataient par eux même aucun enrichissement des sociétés en cause.
En effet, seule la renonciation par l’ascendant au droit d’obtenir le remboursement des sommes réglées au titre des avances ou de l’exécution du cautionnement, aurait permis de caractériser une telle valorisation du patrimoine social.
Par conséquent, la qualification de donation au profit des sociétés gérées par l’enfant ne pouvait pas être envisagée. La seule qualification possible était donc celle de donation au bénéfice de l’associé dirigeant.
Pour la Cour de cassation si les actes passés par l‘ascendant matérialisait un soutien artificiel de l’activité, son appauvrissement sans contrepartie était établi. Ce soutien suppose une connaissance par l’auteur des actes de la situation financière de la société, ce que la Cour d’appel avait omis de rechercher.
Plus important encore, pour la Cour de cassation, la Cour d’appel aurait dû rechercher si l‘ascendant n‘avait pas « soutenu artificiellement l‘activité professionnelle de son fils en se substituant à lui dans le paiement de ses dettes ».
Cette notion de substitution nous semble essentielle : elle permet de caractériser en l‘espèce un avantage particulier consenti à cet associé.
Pourquoi ? Parce qu’en l’espèce, en visant cette notion, la Cour de cassation subordonne l’existence de la donation consentie à l‘enfant à la preuve d’un enrichissement personnel, en l‘absence de valorisation du patrimoine de la société et des titres sociaux, enrichissement résultant d’actes de l’ascendant que l’intérêt social ne justifiait pas.
La société apparaît clairement dans cette situation, comme un moyen au service du finalité et non comme une personne profitant d’un avantage.
L’arrêt ne peut donc en aucun cas être analysée comme confirmant ou confortant une jurisprudence de la première chambre civile de la Cour de cassation qui serait, à la différence de la chambre commerciale de la Cour de cassation, rétive à la qualification de société donataire.
Par Michel Leroy – Mai 2020
Mots clefs
Donation indirecte – avances en compte courant – soutien artificiel – avantage personnel de l’associé
Thématique
Donation – Société