Sursis d'imposition et abus de droit

L’apport des actions d’une société opérationnelle (société commerciale, industrielle, artisanale, ou libérale) à une holding familiale présente un certain nombre d’intérêts que l’on peut résumer ainsi :

1) Les dividendes remontés dans la holding, pourront bénéficier du régime mère-fille ( La remontée des dividendes à la holding se fait en franchise d’impôt sur les sociétés à l’exception d’une quote-part pour frais et charges de 5 % du montant brut des dividendes, et pourront être utilisés soit pour financer des opérations de croissance externe, soit pour augmenter la participation dans la société filiale apportée, soit au contraire pour diversifier les actifs familiaux afin de soustraire partiellement la famille du risque lié à un patrimoine très concentré sur une seule participation.

2) L’apport à une holding permet de bénéficier du régime fiscal des titres de participations (Après Deux ans de détention, la plus-value n’est pas totalement exonérée d’impôt : une quote-part de frais et charges de 12 % du montant de la plus-value devra être réintégrée au résultat imposé).
Les Titres de participation sont les titres dont la possession durable est estimée utile à l’activité de l’entreprise, notamment parce qu’elle permet d’exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d’en assurer le contrôle.

3) Les statuts de la société holding et éventuellement un pacte d’actionnaire seront adaptés pour organiser les pouvoirs de gestion au sein de la société (choix de la forme des organes de direction, nombre de membres, modalités de désignation, pouvoirs respectifs…) et les relations entre actionnaires ou associés (catégories d’actions, cessibilité des actions ou parts, pouvoir des actionnaires réunis en assemblée générale, règles de majorité…).Cette cession des titres est susceptible de générer une forte imposition en cas de plus-value taxable. Pour favoriser la réorganisation du patrimoine professionnel, le législateur a mis en place des dispositifs permettant de neutraliser la plus-value taxable.

Pour simplifier :

– Avant le 1er janvier 2000 = report d’imposition sur option avec imposition l’année de cession des titres
– 1er janvier 2000/14 nov. 2012 = Sursis d’imposition de plein droit, même avec soulte si celle-ci est inférieure à 10 % et même en cas d’apport en démembrement
Aucune plus-value n’est constatée lors de l’apport, traité comme une opération intercalaire. Seule la cession des titres perçus en échange est taxée. Le but est de neutraliser l’opération car pas de liquidités en échange (sauf soulte inférieure à 10 %)

Le sursis prend fin lorsque :

-) La cession à titre onéreux des titres reçus en rémunération de l’apport de titres de la société commerciale (donc la cession des titres de la société holding) entraîne l’expiration du sursis d’imposition de la plus-value d’apport et, par conséquent, l’imposition immédiate de cette plus-value.
-) la cession, le rachat, le remboursement ou l’annulation des titres reçus à l’échange entraîne l’imposition de la plus-value nette en sursis d’imposition.

Le législateur a mis en place en 2012 un mécanisme de report d’imposition pour les apports réalisés à une société contrôlée par l’apporteur.

Lorsqu’une cession de la société commerciale est envisagée, l’apport des titres à une société holding ne peut être fiscalement intéressant que si la cession intervient au moins trois ans après l’apport des titres.

En effet, L’article 150-0 B du CGI institue un dispositif de sursis d’imposition de la plus-value d’échange réalisée notamment dans le cadre d’une opération d’apport de valeurs mobilières ou de droits sociaux à une société de capitaux soumise à l’impôt sur les sociétés.
Et l’imposition des plus-values réalisées à l’occasion d’un apport de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés, et contrôlée par l’apporteur, est soumise à un régime de report d’imposition (150-0 B ter).

Cette réforme de 2012 avait été justifiée par le fait que le dispositif initial dans le cadre de stratégies d’optimisation.

Une de ces stratégies consistait en un enchaînement très rapide de ces deux opérations (apport puis cession) afin de réduire significativement la plus-value latente (La plus-value réalisée lors de la cession de titres de participation détenus depuis moins de deux ans est immédiatement imposée au taux normal de l’impôt sur les sociétés, quel que soit le cessionnaire. Si la société holding vend immédiatement au même prix les titres apportés, il n’y pas de plus-value taxable).
Ce faisant, les contribuables parvenaient à éviter l’imposition immédiate de la plus-value latente grevant les titres apportés puis cédés par la holding, tout en bénéficiant, indirectement, des liquidités dégagées par la cession.

Or, pour le Conseil d’Etat, Le bénéfice du différé d’imposition, fixé dans la loi, pour la plus-value réalisée par une personne physique lors d’une opération d’apport de titres à une société assujettie à l’impôt sur les sociétés, peut être remis en cause par l’Administration sur le fondement de l’abus de droit fiscal visé à l’article L. 64 du LPF lorsque
– le contribuable contrôle la société bénéficiaire de l’apport
– celle-ci procède à bref délai à la cession des titres qu’elle a reçus
– et que l’administration établit qu’« il s’agit d’un montage ayant pour seule finalité de permettre au contribuable, en interposant une société, de disposer effectivement des liquidités obtenues lors de la cession de ces titres tout en restant détenteur des titres de la société reçus en échange lors de l’apport (exemple, CE, 9e et 10e ch., 10 juill. 2019, n° 411474, Martin)

Dans l’affaire, jugée le 12 février 2020, deux époux avaient créé une société civile holding (ayant pour objet la constitution et la gestion d’un portefeuille de valeurs mobilières) et qui a opté pour son assujettissement à l’impôt sur les sociétés.

Le 03 mai 2007, un des époux fait apport de 1 890 476 titres d’une société (société A) à la société civile.

La plus-value alors réalisée, d’un montant de 36 058 637 euros, fut placée automatiquement sous le régime du sursis d’imposition prévu par l’article 150-0 B du code général des impôts.

Le 29 mai 2007, la société A procéda au rachat de ses propres titres auprès de la société civile, pour un prix identique à leur valeur d’apport.

Pour l’administration fiscale, l’apport des titres de la société A à la société civile, préalablement au rachat de ses propres titres par la société A , avait eu pour seul objet d’éviter l’imposition immédiate que M. B… aurait dû supporter si, à défaut d’interposition de la société civile, la société A lui avait directement racheté ses titres.

Pour le conseil d’Etat, « la succession des opérations (…) a permis aux requérants d’entrer artificiellement dans les prévisions de l’article 150-0-B du code général des impôts en évitant l’imposition à laquelle ils auraient été soumis si la société (A) leur avait directement racheté leurs titres et que l’interposition de la société civile (…) et l’apport des titres de la société (A..) à cette société doivent être regardés comme ayant poursuivi un but exclusivement fiscal et comme nécessairement contraires à l’objectif poursuivi par le législateur. Dans ces conditions, alors même que les requérants soutiennent qu’ils n’ont reçu aucune liquidité et qu’aucun désinvestissement n’a eu lieu, la cour administrative d’appel n’a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en retenant l’existence d’un abus de droit.

L’arrêt est intéressant car dans la majorité des hypothèses, l’abus de droit a été retenu dans des hypothèses où les bénéficiaires du sursis d’imposition ont récupéré des liquidités à la suite de l’enchaînement des opérations.

Mais ce qui est constitutif d’abus de droit, c’est de créer un montage permettant artificiellement sous le régime du sursis d’imposition.

Par Michel Leroy – Mars 2020

Mots clefs

Société opérationnelle – Apport à une société Holding – Sursis d’imposition – Abus de Droit

Thématique

Fiscalité

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