Un arrêt récent de la Cour de cassation, en date du 06 mars 2019 (Cass. 1ère civ., 06 mars 2019, 18-11.640 18-11.936, publié au Bulletin) permets d’évoquer de nombreuses difficultés liquidatives successorales.
Dans cette affaire, une personne est décédée, en laissant pour lui succéder son épouse séparée de biens, et leurs trois filles, L…, N… et I….
Le de cujus avait rédigé, un testament authentique le 28 mai 2002, un testament olographe le 24 mai 2005 et plusieurs codicilles rédigés le 18 février et 19 juillet 2010, et le 31 janvier et 9 mars 2011.
Plusieurs difficultés se sont élevées pour le partage de sa succession.
Il semble que dans cette affaire, le conjoint survivant ait opté pour l’usufruit de la succession composé de nombreux actifs et en particulier d’œuvres d’art (dessins et des bronzes).
I- L’usufruit sur les œuvres d’art
En vertu de l’un des codicilles du testament, le de cujus avait exprimé sa volonté de léguer à son épouse les œuvres d’art dans les termes suivant : « l’usufruit de ma collection de dessins et de bronzes sa vie durant ; que pour l’exercice de cet usufruit, elle sera dispensée de fournir caution » ;
Les enfants indivisaires reprochèrent tout d’abord d’avoir prêté une œuvre de cette collection à un prestigieux musée américain et de n’avoir pas dressé un inventaire des biens sous usufruit.
Ils reprochèrent également au conjoint survivant de n’avoir pas dressé inventaire.
A) L’inventaire
Selon l’article 600 du Code civil, l’usufruitier… ne peut entrer en jouissance qu’après avoir fait dresser, en présence du propriétaire, ou lui dûment appelé, un inventaire des meubles et un état des immeubles sujets à l’usufruit.
Et selon l’article 1094-3 du Code civil, applicable en cas de dispositions volontaires entre époux, les enfants ou descendants pourront, nonobstant toute stipulation contraire du disposant, exiger, quant aux biens soumis à l’usufruit, qu’il soit dressé inventaire des meubles ainsi qu’état des immeubles, qu’il soit fait emploi des sommes et que les titres au porteur soient, au choix de l’usufruitier, converti en titres nominatifs ou déposés chez un dépositaire agréé.
La loi subordonne en effet l’entrée en jouissance à la réalisation de cet acte, indispensable à la protection du nu-propriétaire : il a pour but de lui permettre de connaître la consistance des biens soumis à usufruit ainsi que leur état.
En l’espèce, le testament n’avait pas écarté la possibilité d’un tel inventaire. L’aurait-il fait qu’une telle dispense aurait été inefficace puisque l’usufruit résultait d’une disposition volontaire et que l’article 1094-3 du Code civil rend une telle disposition sans effet.
Mais les enfants peuvent-ils l’exiger alors qu’un inventaire de succession a été dressé qui précise la qualité et la nature des biens reçus par l’usufruitier ?
La Cour de cassation rappelle qu’alors même «qu’un inventaire des oeuvres d’art a été entrepris par un notaire à l’ouverture de la succession et que le notaire liquidateur pourra procéder également à un inventaire de la collection, les filles du défunt, nu-propriétaire, étaient en droit d’exiger qu’un inventaire des œuvres formant la collection objet de l’usufruit de leur mère soit dressé en leur présence ou elles dûment appelées.
B) Les mesures conservatoires
En l’espèce, les enfants nus-propriétaires avaient sollicité l’application de certaines mesures conservatoires telles qu’une visite annuelle, des scellés sur les cadres et une interdiction de déplacement par le placement des oeuvres dans un garde-meuble sécurisé.
Rien ne justifiait a priori de telles mesures, les enfants n’établissant pas un risque d’atteinte à la substance.
Certes, l’usufruitière avait prêté une œuvre à un musée américain. Mais il n’y avait pas là un risque d’atteinte à la substance. Bien au contraire, une œuvre d’art est faite pour être exposée et son exposition est de nature à en augmenter la valeur.
Il était donc impossible d’en déduire une contravention à l’obligation principale de l’usufruitier. C’est au contraire une telle mesure qui était de nature à porter atteinte aux droits de l’usufruitier et ce sont les raisons pour lesquelles la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir considéré que « l’usufruitière ne mettant pas en péril les droits des nus-propriétaires, il n’y avait pas lieu d’ordonner les mesures conservatoires sollicitées ».
II – La qualification du testament
Le défunt avait légué par testament 52,56 % du capital social de la société Y à Mme I.. (tout en lui léguant dans le même acte le surplus de la quotité disponible après exécution des dispositions en faveur de son épouse), le reste du capital social détenu par lui directement ou indirectement étant attribué à Mme L.
L’exécution de cette disposition volontaire avait soulevé différentes difficultés d’interprétation (par exemple pour l’attribution des titres figurant dans le Plan d’Épargne entreprise).
La difficulté principale avait tourné autour de la qualification du testament : s’agissait-il d’un testament simple ou d’un testament partage ?
La qualification est essentielle, car les conséquences de celle-ci sont importantes.
En effet, le testament partage ne porte pas de legs, mais anticipe le partage de la succession. Il en résulte que la renonciation de l’un des enfants ne produit pas les mêmes effets selon que le testament est ou non un acte de partage. S’il s’agit d’un testament simple, cette renonciation ne lui fait pas perdre sa qualité d’héritier, n’ayant renoncé qu’à celle de légataire. Dans le cas contraire, en renonçant, l’enfant refuse de recevoir des droits d’héritier : la renonciation au testament-partage vaut renonciation à la succession.
La difficulté de qualification est grande lorsque l’acte litigieux n’est pas un testament authentique (le notaire prenant soin alors de préciser la nature de l’acte enregistré).
Plusieurs critères sont en principe pris en compte pour retenir la qualification de testament-partage.
1) La volonté exprimée de l’acte d’opérer un partage et non une volonté d’allotissement préciputaire de l’un des enfants ;
En l’espèce, le codicille litigieux était rédigé ainsi : « Relativement à la société A, j’annule toutes les dispositions antérieures à ce jour et je décide que le lot de ma fille Armelle comprendra par priorité et nécessairement les 52,56 % des parts que je détiens en direct dans la société. La part de ma fille Laurence comprendra par priorité toutes mes autres détentions directes/indirectes de parts dans la société.
Relativement à la quotité disponible de mes biens, je révoque toutes dispositions antérieures à ce jour, à l’exception de celle en faveur de mon épouse. Je lègue le surplus de la quotité disponible, après exécution des dispositions en faveur de mon épouse, à ma fille Armelle ».
La rédaction du codicille était en effet susceptible d’interprétation puisqu’elle faisait référence à un allotissement (dont un partage) mais aussi à un legs.
EN revanche on ne pouvait déduire du fait que la quotité disponible était en partie attribuée à l’un des enfants, l’exclusion de la qualification de testament partage. En raison de l’inégalité entre les enfants que cette stipulation était de nature à engendrer. Une telle inégalité n’interdit pas par elle-même la qualification de testament partage (par exemple, Cass. 1ère civ, 05 déc. 2018, n°17-17. 493).
2) Les droits concernés par le testament.
Dans la plupart des affaires, où la qualification de testament partage a été retenue, celui-ci organisait le partage de la totalité du patrimoine (, Cass. 1ère civ, 05 déc. 2018, préc.). En l’espèce, le testament ne concernait qu’une partie de l’actif successoral.
Pourtant rien n’interdit d’anticiper un partage partiel. Aux termes de l’article 1075-5 du Code civil, tous les biens ou droits que le disposant laisse au jour de son décès n’ont pas été compris dans le partage, ceux de ses biens ou droits qui n’y ont pas été compris sont attribués ou partagés conformément à la loi.
En l’espèce, la Cour de cassation releva qu’aux termes de son codicille du 9 mars 2011, « organisait la distribution et le partage par le défunt, entre deux de ses héritières, d’un élément prépondérant de son patrimoine, devait être qualifié de testament-partage, même s’il ne concernait que certaines des héritières et ne portait que sur une partie des biens successoraux »
3) Les personnes concernées par le testament
En l’espèce, la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir admis la qualification de testament partage alors même que deux seulement des héritières étaient concernées par le testament.
En effet si en principe le partage doit concerner tous les copartageants, l’omission d’un partageant n’est pas une cause de nullité du partage , par application de l’article 1077-1 du Code civil : L’héritier réservataire, qui n’a pas concouru à la donation-partage, ou qui a reçu un lot inférieur à sa part de réserve, peut exercer l’action en réduction, s’il n’existe pas à l’ouverture de la succession des biens non compris dans le partage et suffisants pour composer ou compléter sa réserve, compte tenu des libéralités dont il a pu bénéficier.
III – L’imputation des legs
Le défunt avait, en plus du legs d’usufruit rapporté ci-dessus et de droit d’usage et d’habitation, légué la somme d’un million et demi en pleine propriété à son épouse séparée de biens. Or, le testament précisait que la fille Armelle bénéficiaire de la quotité disponible après exécution des legs.
Comment comprendre cette formule ?
Pour la Cour d’appel, en déclarant léguer à l’enfant le surplus de la quotité disponible, après exécution des dispositions en faveur de son épouse, le disposant n’avait pas entendu imposer à sa fille la charge d’acquitter sur son lot les legs particuliers consentis à l’épouse.
De sorte que le legs fait en pleine propriété à celle-ci devait s’imputer sur la quotité disponible ordinaire, alors que les legs d’usufruit et de droit d’usage et d’habitation s’imputeront sur la réserve à concurrence de la quote-part indivise des héritières réservataires.
La solution semble juste puisque le testament n’imposait pas à l’enfant bénéficiaire de la quotité disponible d’exécuter ce legs à titre particulier.
Par Michel Leroy – Avril 2019
Sources
Mots clefs
Usufruit – Oeuvre d’art – testament-partage – inventaire